Cette campagne de Grenade est un lieu retiré et excentrique, éloigné des routes qui descendent de la capitale à la côte méditerranéenne ; une terre montagneuse, escarpée et complexe.
De loin, les villages des Alpujarras ont l’air de flocons de neige récemment tombés, entre une végétation luxuriante au printemps, et safranés et dénudés à la tombé de l’automne. La Alpujarra est un territoire mythique et légendaire, théâtre d’exils et de batailles, dernière étape vers la mer et l’Afrique, depuis les cimes de la Sierra Nevada. C’est aussi le foyer d’artistes et d’écrivains comme Gerlad Brenan, qui trouva en ses villages les arguments pour certains de ses meilleurs ouvrages.
Il est des lieux qui sont une ressource inépuisable pour l’imagination, et les Alpujarras, au sud de Grenade est l’un d’eux. Dans ses paysages, la culture maure est présente partout, et c’est après de sanglantes disputes que les poètes arabes du 15e siècle pleurèrent dans leur vers la perte de ce pays littéraire, si fertile en eau, à l’image de la Grenade de laquelle ils avaient été expulsé pour toujours. Après la dernière rébellion des maures et leur expulsion des Alpujarras, des chrétiens du nord de l’Espagne vinrent progressivement repeupler ses villages jusqu’au 16e siècle. Mais les générations suivantes ne perdirent pas pour autant l’héritage de l’époque andalusi, en l’occurrence ses modes de constructions si distinctifs, son architecture usant des pierres plates d’ardoise et donnant aux cheminées l’allure de chapeaux de sorciers. Des années plus tard, les voyageurs romantiques furent subjugués par la particularité du paysage.
Le village balnéaire de Lanjaron en est la porte d’entrée depuis Grenade, et c’est une route en épingle qui mène à Orgiva, la capitale administrative de la comarque. On l’aperçoit de loin, grâce aux deux tours de l’église Notre-Dame de la Expectacion. Enfoncée dans les profondeurs de la vallée du Guadalfeo, Orgiva est le point de départ de toute ascension en direction des hautes Alpujarras.
En montant, les routes deviennent rebelles et indisciplinées. Peu après avoir passé le village de Cañar, la ville de Soportujar, où les habitants cohabitent depuis des années avec les visiteurs du centre bouddhiste O Sei Ling. Ils viennent y chercher le calme, le silence et la méditation.
En bout de chemin, on distingue les formes anguleuses du Barranco (précipice, vallée) de Poqueira, où tout semble garder un ordre, une proportion harmonique. Le village de Pampaneira repose sur l’un de ces versants sauvages. Plus haut, le voyageur rencontre Bubion et quelques kilomètres plus loin, Capileira. Ces toponymes sont d’origine romaine, et ne furent pas perdus à l’époque musulmane. A l’entrée de Pampaneira, des azulejos invitent tout visiteur à s’installer dans la vallée :
« Voyageur, reste vivre avec nous »
Des fontaines jaillissent entre ruelles escarpées et petites places intimes. Les maisons sont parfumées par l’ odeur de géraniums, de jasmins et de chèvrefeuilles qui éclatent en d’insultantes couleurs. Dans les villages de Poqueira, de même que dans ceux des hautes Alpujarras, l’architecture est un art difficile à saisir. Les maisons s’enchevêtrent par leurs terrasses, le toit de la première venant accueillir les fondations de la suivante. Et les terrasses surtout, ou terraos, couvertes de pierres ardoiseuses qui supportent à leur tour ces fameuses cheminées couronnées de deux pierres plates.