Il y a dans le monde des avenues monumentales faites pour impressionner ou accueillir un défilé militaire. Des rues qui ressemblent à un catalogue d’histoire de l’art. Des rues qui dévoilent palais et nobles demeures, des jardins léchés, des boutiques de luxe ou le meilleur de l’architecture d’avant-garde. Et puis il y a la Carrera del Darro, la plus jolie rue de Grenade.
C’est le cordon ombilical qui unit la vieille ville à la nouvelle. Un entonnoir de pierre séparant, à la manière d’un sablier, deux époques qui évoluent à chaque extrémité.
D’un côté, les ruelles maures emmêlées et blanchies de l’Albaicin et du Sacromonte semblent avoir arrêté le temps, nous ramenant sans cesse au royaume d’al-Andalus. De l’autre, la Grenade renaissance et baroque, la plaine chrétienne. Un caprice de la géographie voulut qu’il n’existe qu’une seule rue qui permette de passer d’un monde à l’autre, à moins de faire un détour de 4 kilomètres.
La Carrera remonte en serpentant le ruisseau du Darro séparant les collines de l’Alhambra et de l’Albaicin. Depuis la plaza Nueva jusqu’au paseo de los Tristes, pas une seule ombre ne vient rompre son charme intimiste. On chemine alors sur son sol pavé, avec révérence, embarqué inconsciemment dans les pages de l’histoire, le muret garde-corps du rio d’un côté et les façades des palais baroques et renaissances de l’autre. C’est dans l’un d’eux que vous trouverez les bains arabes les plus anciens d’Espagne. Les rayons du soleil de midi y transpercent les voûtes aux lucarnes étoilées.
Le long du Darro, de petits ponts s’arquent pour le franchir depuis le temps des Rois Catholiques, et de simples maisons arborent de magnifiques balcons en fer forgé tout en escaladant la colline du barrio de la Churra, à l’ombre de l’Alhambra. Par endroits, des églises mudéjares tentent tant bien que mal de dissimuler un passé de mosquée.
Un peu plus loin, les restes de la Puerta del Cadi rappellent l’accès à la vieille médina nasride. Vous croiserez aussi probablement des religieuses du couvent de San Bernardo vendant leurs beignets à l’anis et leur vin doux. Et toujours, les tours de l’Alhambra, sereines, symétriques, vigilent plus haut sur la colline.
Si de plus, vous y voguez en soirée, alors que la lumière orangée des réverbères rend plus envoûtant encore les profils du rio, des ponts et des palais, et que les lueurs blanches de l’Albaicin abondent sur la toile turquoise du crépuscule, vous obtenez alors la certitude qu’elle pourrait être (presque), la plus jolie rue au monde.
Pratique : la Carrera del Daro a été piétonnisée depuis peu, et seuls des véhicules publics peuvent y circuler à des horaires bien déterminés. Cette mesure profite grandement aux piétons et aux touristes, mais les voisins de l’Albaicin sont eux moins satisfaits, puisqu’ils doivent désormais descendre faire leurs courses Plaza Nueva ou plus loin dans le centre. Il n’y a pas de supermarché dans le quartier !